D’après le roman de Boileau & Narcejac Celle qui n’était plus

Réalisateur : Henri-Georges Clouzot

Scénario, Adaptation & Dialogue : Henri-Georges Clouzot & Jean Clouzot

Acteurs Principaux : Simone Signoret, Véra Clouzot, Paul Meurisse. Parmi les enfants : Patrick Dewaere et Johnny Haliday.

Genre : Drame / Thriller. Sortie : 1955

ayant droit : TF1

L’histoire : 

Michel Delasalle (Paul Meurisse) dirige à Saint-Cloud une “institution pour jeunes garçons”. C’est un homme tyrannique et odieux. Il terrorise et maltraite sa femme légitime Christina, à qui appartient l’institution (Véra Clouzot). Christina, tendre victime, se voit infliger le spectacle écœurant des amours ostensibles et brutales de Michel et de Nicole Horner (Simone Signoret) qui enseigne la chimie.

Le professeur de latin, Monsieur Drain (Pierre Larquey) et Monsieur Raymond (Michel Serrault), deux ratés, contemplent et commentent la situation.Nicole, brutalisée par son terrible amant et apparemment dégoutée, porte son affection sur la pauvre Christina, qui souffre d’une maladie cardiaque. Malgré l’indécision et les scrupules religieux de cette dernière, Nicole parvient à lui imposer son projet : assassiner Michel.

 Profitant de trois jours de congé, les deux femmes partent à Niort, où Nicole possède une maison. De là, Christina téléphone à son mari pour lui signifier sa décision de divorcer. Comme prévu dans le plan, Michel prend le train immédiatement pour Niort.Christina dévorée par les remords et le trac accueille Michel qui l’attendrit par des propos câlins. Elle est prête à renoncer à son projet quand Michel change brutalement de ton et se montre à nouveau odieux.Elle lui verse, tremblante mais consciente, trois rasades de whisky corsé de somnifère.

Michel s’endort. Nicole, le « cerveau » et l’instigatrice de l’entreprise, enjoint Christina de l’aider à plonger le corps assoupi de Michel dans la baignoire. Nicole le noie.  Le lendemain, de retour Saint Cloud avec le corps de Michel dans une malle d’osier, le contenu de la malle est immergé dans la piscine désaffectée de l’établissement. Le crime parfait est donc consommé. Christina et Nicole ont un alibi, elles ont été vues à Niort et personne n’a vu Michel partir de l’établissement.

Les jours suivants, comme le corps ne remonte pas, Christina folle d’anxiété fait vider la piscine par le concierge (J.Brochard) donnant pour prétexte la perte de ses clefs dans l’eau.Coup de théâtre : le corps a disparu. L’inquiétude et l’exaspération des femmes grandissent, leurs rapports se tendent. Des faits troublants apparaissent : Livraison du costume par un teinturier, dans lequel Michel a été assassiné. Chez le teinturier, on donne à Christina une clef de chambre d’hôtel. A l’école, un jeune garçon prétend avoir vu Michel, mais ce jeune garçon passe pour mythomane.

 Epuisée par la maladie et les remords, Christina décide d’aller se confesser et probablement à la police. Nicole l’en dissuade et lui montre un article du journal « un inconnu a été retrouvé dans la Seine… ». Le signalement coïncide. Christina se rend à la morgue. Le noyé n’est pas Michel.C’est là qu’apparaît un commissaire de police en retraite (Charles Vanel). Il propose ses services. Christina accepte avec réticence. Il démarre posément et avec astuces son enquête.

De nouveaux faits singuliers dégradent la santé de Christina. Elle est contrainte de s’aliter. Nicole quitte l’institution.La nuit, Christina a des cauchemars. Elle est réveillée par le commissaire à qui elle avoue son crime. Il ne la croit pas et part avec des paroles de réconfort.

 Christina ne peut pas dormir. Elle perçoit des bruits étranges, se lève, voit des lumières qui s’allument et s’éteignent dans les différents pièces de l’école. Courageuse, elle va au-devant du mystérieux auteur de ce remue-ménage. Au bout de quelques scènes de frayeur, Christina perd le contrôle de ses nerfs. Elle se réfugie dans la salle de bain pour se rafraîchir. Et là…

Elle assiste horrifiée au spectacle de Michel, dans la baignoire, les yeux ouverts, révulsés, dans la même posture exacte du soir de sa mort. Il se lève comme un automate. Christina meurt sur le coup d’une crise cardiaque.Michel retire ses faux yeux de cadavre. Il fait signe à sa complice : Nicole. Long baiser. « Comme tu as du souffrir mon chéri. Mais maintenant elle est bien morte, la garce ».

Le commissaire survient alors, surprenant les deux amants et leur promettant un juste châtiment. Les élèves quittent l’institution Delasalle qui ferme ses portes et le film s’achève sur l’image du gosse mythomane ayant retrouvé sa fronde. « C’est la Directrice qui vient de me la rendre ».

LES AUTEURS

 « CELLE QUI N’ETAIT PLUS » /  roman de Pierre BOILEAU et Thomas NARCEJAC

 Pierre Boileau commença à écrire des romans policiers en 1934. Thomas Narcejac aborda la littérature en 1946. Tous deux se posaient des questions sur le roman d’énigme ou « roman à problème » qui était alors la règle. Ils cherchaient quelque chose de nouveau. En 1947, Narcejac publiait un essai « Esthétique du roman policier » qui attira l’attention de Boileau. Ils se rencontrèrent en juin 1948. A force d’échanger des idées, ils décidèrent d’écrire ensemble. Ainsi se créa ce duo bicéphale qui au cours des années 50-60 changea considérablement les structures et l’atmosphère du roman policier français, jusque-là l’apanage des américains.

 C’est le premier roman du tandem, qui fût par ailleurs refusé par plusieurs éditeurs avant d’être publié chez Denoël en 1952. Ils inventaient une intrigue criminelle où n’intervenait aucun policier, enquêteur ou autre. Dans cet ouvrage l’angoisse naissait de rapports psychologiques inquiétants ou trompeurs. En cinq ans, suivirent : Les Visages de l’ombre, Les Louves, Le Mauvais Oeil et Les Magiciennes. Bien d’autres ensuite. Tous, sauf Le Mauvais Oeil furent adaptés au cinéma.

Cette première œuvre utilisait un ressort dramatique qui devient une marque spécifique de leur univers : la machination d’un crime parfait destiné à se retourner contre son/ses auteur(s) dans un jeu impressionnant de masque de personnalités.

 Pierre Boileau au sujet de l’adaptation de Clouzot :

« Nous n’avons été nullement déçus ou choqués, surpris oui. (…) Nous avons vite compris que le roman est une base et un point de départ à Clouzot (…) »,« Le déroulement de l’action dans Les Diaboliques, le rythme du suspens, l’allure de la tragédie sont absolument conformes à ce que nous avons voulu ».

 L’histoire originale, un fait divers :

Fernand Ravinel, représentant de commerce, n’en peut plus de la vie étouffante que lui fait subir Mireille, sa femme, dans leur modeste pavillon d’Enghien, au nord de Paris. Il se laisse convaincre par sa maîtresse, Lucienne, de tuer cette épouse embarrassante.

Après l’avoir endormie à l’aide d’un linge imbibé de chloroforme, que Lucienne a pu se procurer, Ravinel plonge Mireille dans une baignoire pour faire croire à une noyade. L’assassinat ayant eu lieu à Nantes, Ravinel transporte le corps à Enghien quarante-huit heures plus tard et le dépose ensuite dans le lavoir d’une propriété pour faire croire à un accident. Mais, au moment de laisser “découvrir” le cadavre, le jour même, par un tiers amené à dessein sur les lieux, le corps s’est volatilisé.

Peu à peu, l’angoisse, doublée des remords de la culpabilité, monte d’un cran lorsque certains indices laissent croire que la morte est revenue le hanter …

SCENARIO ET  DIALOGUES  : HENRI-GEORGES CLOUZOT & JEROME GERONIMI

REVUE DE PRESSE

Henri-Georges Clouzot – ITV RADIO – Monique Berger – 25/01/1955

« Il est rare de rencontrer un suspens si passionnant, il faut sauter dessus. A 3h du matin, Véra me dit : tu dois finir ce roman avant la fin de la nuit, à 4h30 j’avais fini et le matin même j’en achetais les droits ».

Henri-Georges Clouzot est au faîte de sa gloire lorsqu’il acquiert les droits d’adaptation du roman de Boileau et Narcejac. Le salaire de la peur, tourné l’année précédente, a obtenu le « Grand prix de Cannes » et a consacré son talent aux yeux du monde entier. « le salaire de la peur » sort dans plus de quinze pays et rencontre partout le succès. 

A la lecture du roman, Clouzot se saisit immédiatement d’une option sur les droits d’adaptation puis laisse Boileau et Narcejac sans nouvelle de lui pendant plusieurs mois. Le jeune temdem littéraire s’inquiète de cette attitude mystérieuse et craint un abandon du projet. C’est alors qu’Alfred Hitchlock déclare se tenir prêt à reprendre les droits. Cela conforte-t-il Clouzot dans son projet ?

 « J’ai écrit trois scénarios, avant celui-là, je hais raturer, ça me crispe, j’ai la terreur de la rature. Sur le plateau c’est exactement pareil, j’ai recommencé une séquence car une fenêtre était restée ouverte. J’ai traité la pellicule comme je traite la page raturée, je jette tout et je recommence »

« Celle qui n’était plus » devient tout d’abord « Les Veuves » puis « Les Diaboliques » titre en référence aux Contes Cruels de Barbey d’Aurevilly.

Henri-Georges Clouzot – ITV Radio – 1955

« Le cadre de l’action choisi est une institution privée où on élève des petits enfants fortunés et insupportables, comme tous les enfants »« Il y a très longtemps que je cherche à donner au cinéma le relief du dessin, c’est à dire me débarrasser des images inutiles. Il est très difficile de réduire les volumes, puis les surfaces et des lignes, les Diaboliques m’ont amusé car j’ai pu faire cette expérience ».

Clouzot veut tourner en couleur mais finalement renonce pour Les Diaboliques jugeant les tests chez Technicolor peu satisfaisants : « Je ne veux pas tourner en couleurs dîtes naturelle, je veux pouvoir travailler avec des couleurs interprétées ».A propos du travail de Clouzot en 1955, Paul Baudin dira : « un scénario parfait, un ouvrage magistral, un chef d’œuvre d’intelligence et de technique, bref une apothéose »

Henri-Georges Clouzot – ITV RADIO – 1955 :

« Mon premier contact avec le monde de la terreur, je crois que ça a été le monde tout court, on a été servi depuis quelque temps, non? » 

Deux ans après « Le Salaire de la peur » et l’énorme succès associé, Clouzot prépare d’ores et déjà le Mystère Picasso. A la sortie des Diaboliques, il vient de terminer le montage du Mystère Picasso et annonce lors d’une interview à la remise du prix Louis Delluc, qu’il avait d’autres projets en cours avant de tomber sur le roman de Boileau-Narcejac.Un projet sur l’Afrique du nord et un projet sur la guerre d’Indochine. Mais conscient que pour l’heure ces sujets sont « trop à vif » et délicats, il renonce.

Pourtant, dans un article de L’Express, en 1953, Clouzot fait part d’une censure, dont il aurait fait l’objet, encore et qui l’aurait empêché de traiter des sujets de décolonisation.« La censure qui sévit aujourd’hui en France est infiniment dangereuse pour tous parce qu’elle est sournoise et presque clandestine. (…) Le troupeau de moutons qui suit aveuglément le berger s’engage et quelque fois, sur une drôle de route, une route qui mène à l’abattoir (…) »

 C’est alors que Clouzot et son frère Jean (Jérome Géronimi) élaborent un nouveau script sur la solidarité internationale des radio-amateurs. L’histoire d’un équipage de pêcheurs sauvé de la mort en mer par la confrérie des sans-filistes. Ce script sera déléguée à Jean Ferry pour la finalisation des dialogues et à Christian Jacques pour la mise en scène et deviendra « Si tous les gars du monde », l’un des plus grands succès de ce réalisateur. Clouzot ne le réalise pas car il vient de tomber sur le roman « Celle qui n’était plus ».

Cette année-là,  Sir Winston Churchill, alors malade et âgé de 80 ans démissionne, disparitions également d’Albert Einstein et de James Dean. Ouverture de la conférence de Bandung organisée par la Birmanie, Ceylan, l’Inde, l’Indonésie et le Pakistan, réunissant 29 États des continents africains et asiatiques, principalement issus de la décolonisation et signature du pacte de Varsovie.

Les thèmes majeurs de cette conférence seront l’indépendance du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie, l’Apartheid en Afrique du Sud, ainsi que les conflits israélo-arabes, l’interdiction de la bombe atomique et l’égalité entre tous les peuples. De cette conférence naîtra le mouvement de non-alignement, qui assure l’autonomie et la neutralité des pays du tiers-monde vis-à-vis de l’URSS et des Etats-Unis.

POUR QUEL ACCUEIL ?

 Jacques Audiberti, Les Cahiers du Cinéma :

« Bravo Clouzot! Vous êtes peintre me dit-on. Mais c’est avec du cinéma que vous peignez. De même et à coup sûr, vous écrivez… »

 André Bazin, Le Parisien :

« Clouzot a réalisé son meilleur film…à coup sûr le plus parfait… »

 Jean Nery, Positif :

« Rarement, je crois, un tel dépouillement a été atteint »

 Jean Aurel, Arts :

« Un chef-d’œuvre : le miracle de ce film troublant est l’identité absolue qui existe entre la technique du crime qui s’accomplit devant nous, sur l’écran, et la technique du metteur en scène, également diaboliques »

 Henri Jeanson à propos du prix Louis Delluc décerné à Clouzot :  

« C’est le film le plus cruel, le plus audacieux, le plus dépouillé de Clouzot. Il a dirigé d’une main de maître ses acteurs, comme rarement en France. Son meilleur film car moins de moyens, ceci apportant plus de moyens intellectuels. Pour moi, l’un des meilleurs metteurs en scène du monde ».

 Claude Gerson, L’Aurore

« En vérité, ce film est trop sombre. Son exagération en tout lui enlève don côté humain et par là sa profondeur. Mais il reste le style extraordinaire de M.Clouzot

 Jean d’Ivoire, Radio Cinéma :

« Il lui est permis d’assumer toute la cruauté du monde sans pour autant s’en repaître sadiquement, c’est à dire sans refuser de laisser pénétrer dans cette ombre diabolique, la lumière spirituelle ».

 Gilbert Salachas :

« (…) Tout le message de Clouzot se résumerait-il en jouissance morbide dans la description de la déchéance la plus odieuse? »

 Jacques Siclier, Le Monde 1987

(…) Il y a aussi le réalisme psychologique noir, qui dès Le Corbeau fut un signe distinctif du cinéaste, de sa misanthropie, de ses doutes sur la nature humaine, dans laquelle se confondent le Bien et le Mal et de son goût des situations troubles! ».

LE REMAKE :

En 1996, Jeremiah Chechik, réalise le remake des Diaboliques, avec Isabelle Adjani et Sharon Stone.